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Posted: Sun, 17/09/2017 - 21:08
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« Une victoire pour les femmes tunisiennes ! » Monia Ben Jemia, la présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), ne cachait pas sa satisfaction au lendemain de l’annonce, jeudi 14 septembre, par la présidence de la République de l’abrogation de circulaires administratives interdisant le mariage de Tunisiennes avec des non-musulmans. « C’est aussi une victoire pour la liberté de conscience en Tunisie », ajoute-t-elle. « J’en suis très heureuse, se réjouit également Sana Ben Achour, féministe et professeure de droit. Une brèche est ouverte dans laquelle d’autres combats devront être menés. Ce n’est pas fini. »
Le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi, avait annoncé le 13 août son souhait d’instaurer l’égalité successorale entre hommes et femmes et de lever l’interdiction frappant les mariages entre Tunisiennes et non-musulmans. Si le premier chantier reste ouvert – il se heurte à de nombreuses oppositions au sein de la société tunisienne –, l’acquis sur le second n’a pas tardé. « Je ne pensais pas que cela irait si vite », commente Mme Ben Jemia.
Violation du principe d’égalité
Une telle avancée conforte la Tunisie à l’avant-garde des droits des femmes dans le monde musulman. Elle avait déjà ouvert la voie avec la réforme du code du statut personnel imposée par Habib Bourguiba, le « père de la nation », dès l’accession du pays à l’indépendance en 1956. Cet arsenal législatif avait aboli la polygamie, institué le divorce judiciaire – se substituant à la répudiation –, fixé un âge minimum pour le mariage – 15 ans pour les femmes, devenu plus tard 18 ans – et exigé le consentement des deux époux lors du mariage. Les associations féministes, très combatives en Tunisie, jugeaient toutefois ces progrès insuffisants et militaient pour une égalité complète entre hommes et femmes, encore loin d’être établie.
Dans l’affaire du mariage entre une Tunisienne et un non-musulman, la difficulté a pris un tour aigu à partir de 1973. Cette année-là, le ministère de la justice publie un texte qui, invoquant la « sauvegarde de l’originalité islamique de la famille tunisienne » et donc la nécessité d’« éloigner tous les côtés négatifs de l’Occident », interdit formellement un tel mariage. La circulaire était assez symptomatique des ambivalences que Bourguiba, le champion du modernisme tunisien à l’époque au pouvoir, cultivait sur ces questions sociétales.
C’est que cette prohibition puise dans une tradition musulmane ancestrale. Elle n’était toutefois pas systématique dans les faits. La « transcription » a posteriori dans l’état civil local d’un mariage mixte célébré en France pouvait ainsi bénéficier d’une attention bienveillante de la part de certains fonctionnaires ou juges, notamment en raison d’une convention bilatérale franco-tunisienne. Aussi, la circulaire de 1973 pouvait-elle être contournée à la marge. Si certaines unions ont été reconnues, de nombreuses se sont toutefois heurtées au refus des officiers d’état civil. La seule manière de surmonter l’obstacle était la conversion à l’islam du conjoint. Dès lors que ce dernier pouvait produire un certificat de conversion délivré par le mufti de la République, la circulaire de 1973 cessait de facto d’être opposable au mariage. Depuis 2011, environ 6 200 conversions ont été enregistrées en Tunisie sans qu’il soit possible de déterminer la proportion de celles-ci motivées par un projet marital. « Il s’agissait de conversion de complaisance, de simples formalités en vue du mariage, dénonce Mme Ben Jemia. De telles pratiques étaient insultantes pour l’islam. »
Au printemps, un collectif regroupant une soixantaine d’associations avait lancé une mobilisation pour obtenir l’abrogation de la circulaire « scélérate » de 1973. Celle-ci était jugée par ces militants « contraire à la Constitution de 2014 » à bien des titres. D’abord parce qu’elle violait le principe d’« égalité » entre « citoyens » et « citoyennes » (article 21), les hommes tunisiens ayant, eux, le droit d’épouser une non-musulmane. Ensuite parce qu’elle bafouait le principe de « liberté de conscience » (article 6) dans le présupposé que toute Tunisienne est nécessairement « musulmane ». La circulaire contredisait en outre nombre de conventions internationales ratifiées par la Tunisie.
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